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lesscriptoria: Fondé par un ancien Waffen-SS, le RN brigue la présidence d’un groupe de travail sur l’antisémitisme

Malgré une histoire marquée par l’antisémitisme, le Rassemblement national souhaite prendre la présidence d’un groupe d’étude sur le sujet au Palais-Bourbon. Le bureau de l'Assemblée nationale doit trancher le 7 décembre.

Le Rassemblement national (RN) a brigué, mercredi 9 novembre, la présidence du groupe de travail sur l’antisémitisme à l’Assemblée nationale.

Au Palais-Bourbon, c’est le vice-président Sébastien Chenu, député RN du Nord, qui a la charge des groupes d’étude. Après avoir recueilli les vœux de chaque groupe politique, l’élu – qui n'a pas répondu à notre sollicitation – a fait, ce mercredi, une proposition au bureau de l’Assemblée, dans laquelle le Rassemblement national demande la présidence du groupe d’étude sur l’antisémitisme.

Cette proposition doit cependant encore être validée par le bureau de l’Assemblée, qui décidera, le 7 décembre, de la création des groupes d’étude et de la répartition des vice-présidences. « Je rappelle qu'aucune liste, aucune création, aucune attribution n'est actée avant décision du bureau de l'Assemblée », a cru bon de préciser, sur Twitter, la présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet.

Mais cette proposition du Rassemblement national a d’ores et déjà fait bondir les associations de lutte contre l’antisémitisme et les organisations représentatives de la communauté juive en France.

« Ce serait une ineptie et une manipulation inacceptables », a réagi sur Twitter le président du Crif, Yonathan Arfi, appelant les députés « à tout faire pour empêcher cette perspective, qui ferait perdre toute légitimité à ce groupe d'étude et déshonorerait l'ensemble des participants ».

« Nous refusons de travailler avec eux et que l’antisémitisme soit ainsi utilisé pour dédiaboliser l’extrême droite », a aussi indiqué l’Union des étudiants juifs de France.
« Cela ressemble à un mauvais gag ! », s’est insurgé Ariel Goldmann, président du Fonds social juif unifié (FSJU) et de la Fondation du judaïsme français, indiquant lui aussi qu’il refuserait de participer aux travaux d’un tel groupe.
De son côté, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) a dénoncé « une imposture » et « une aberration », considérant qu’il s’agissait d’« une option inenvisageable qui doit être fermement combattue ».

« Aujourd’hui a lieu le procès en appel de Jean-Marie Le Pen pour avoir évoqué une “fournée” à l’endroit de Patrick Bruel.
Propos publiés sur le site du FN, déjà présidé par Marine Le Pen », rappelle le président de SOS Racisme, Dominique Sopo, en interpellant Yaël Braun Pivet :
« Pensez-vous que le FN/RN puisse présider un groupe de travail sur l'antisémitisme ? »

À gauche, des député·es ont aussi exprimé leur opposition à une telle présidence.

L’histoire du Front national – devenu en 2018 Rassemblement national – est pourtant marquée par l’antisémitisme.

En 1972, le parti a été fondé – notamment – par d’anciens collaborationnistes proches de Marcel Déat ou de Jacques Doriot, d’anciens membres de la Waffen-SS et des néofascistes des années 1960.

Les premiers statuts du Front national ont d’ailleurs été déposés conjointement par
Jean-Marie Le Pen et Pierre Bousquet, un ancien officier de la Waffen-SS.

Jean-Marie Le Pen, qui a présidé le mouvement jusqu’en 2011 et en fut le président d’honneur jusqu’en 2018, a multiplié, au fil des années, les déclarations antisémites ou de défense du régime de Vichy.

Le 20 octobre 1985, lors de la traditionnelle fête des Bleu-Blanc-Rouge (BBR), au Bourget, il avait
« dédié tout simplement à Jean-François Kahn, Jean Daniel, Ivan Levaï et Elkabbach, à tous les menteurs de la presse de ce pays » l’accueil enthousiaste que lui avait réservé son public.
Cette référence à quatre journalistes juifs lui avait valu une condamnation, la justice y voyant « un antisémitisme insidieux ».

Par la suite, le fondateur du Front national sera plus explicite encore.
Le 13 septembre 1987, il déclare sur RTL que :
les chambres à gaz sont « un point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale ».
Ces propos, qui suscitent une très forte polémique, marquent un tournant pour son parti, qui était alors en pleine percée électorale.
Cette phrase, Le Pen la répétera à de multiples reprises.
Comme en décembre 1997, lors d'une conférence de presse organisée en Bavière avec l’ancien Waffen-SS Franz Schönhuber : « Dans un livre de mille pages sur la Seconde Guerre mondiale, les camps de concentration occupent deux pages et les chambres à gaz dix à quinze lignes, ce qui s’appelle un détail », dit-il.
Mais plus récemment encore : en 2008, dans une interview au magazine régional Bretons, en 2009 au Parlement européen, ou encore en 2015 dans une interview à BFMTV.
En 2018, il est définitivement condamné pour « contestation de crime contre l’humanité ».

En septembre 1988, dans un discours devant ses militants, lors de l’université d’été du Front national au Cap-d’Agde, Jean-Marie Le Pen suscite une nouvelle polémique en surnommant le ministre Michel Durafour « monsieur Durafour-crématoire ».

En 2005, questionné sur les « commémorations de la fin de la Seconde Guerre mondiale »
par l’hebdomadaire pétainiste et antisémite Rivarol, le président du FN déclare
qu’« en France du moins, l’occupation allemande n’a pas été particulièrement inhumaine,
même s’il y eut des bavures, inévitables dans un pays de 550 000 kilomètres carrés ».
Dans cet entretien, il présente par ailleurs la Gestapo – qui a fait partie des organisations jugées criminelles par le tribunal de Nuremberg – comme une police protectrice de la population.

En juin 2014, dans son « journal de bord » vidéo, diffusé sur le site du Front national, il suggère de faire « une fournée la prochaine fois » d’artistes anti-FN, dont le chanteur de confession juive Patrick Bruel.

Quelques mois plus tard, il explique sur BFMTV que « bien sûr » Vichy était « excusable ».
« Je crois que Vichy, pour ma part, a fait ce qu’il pouvait pour essayer de défendre les Français contre un horrible malheur qui venait de se produire et dont étaient responsables, tout de même, les gens qui avaient dirigé le pays avant la défaite », a-t-il développé.

Puis en avril 2015, dans un long entretien à Rivarol, Le Pen déclare qu’il n’a « jamais considéré le maréchal Pétain comme un traître » et « que l’on a été très sévère avec lui à la Libération ».
Il explique aussi n’avoir jamais « considéré comme de mauvais Français ou des gens infréquentables ceux qui ont conservé de l’estime pour le Maréchal » et estime qu’ils ont
« leur place au Front national ».

Au fil des années, d’autres membres ou proches du mouvement ont aussi manifesté leur obsession pour l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, celle du génocide juif ou le régime de Vichy.

Ainsi, en 1998, National-Hebdo – hebdomadaire satellitaire du Front national – publiait un article d’un des principaux auteurs négationnistes français, Robert Faurisson.

Le directeur de la rédaction, Martin Peltier, candidat du FN dans le Lot-et-Garonne aux élections législatives de 1993, avait lui-même été condamné en 1996 pour
« contestation de crimes contre l’humanité ».
Dans son numéro de juin 1998, il s’est aussi demandé si
« l’amitié avec les SS » était « possible », comme l’avait raconté Le Monde.
Il y estimait que les Waffen-SS étaient « des troupes d’élite, particulièrement imprégnées d’un fond idéologique patriote », qui avaient simplement « parfois » commis des « bavures ».

En 2004, l’ancien numéro deux du Front national Bruno Gollnisch – encore présent au congrès du RN le 5 novembre – avait déclaré, lors d’une conférence de presse, à Lyon,
« ne pas remettre en cause les déportations » ni « les millions de morts » des camps nazis,
mais il avait estimé que le « débat doit avoir lieu [...] quant à savoir la façon dont les gens sont
morts ». Il avait été exclu pour cinq ans de l’université Lyon-III, où il était professeur de droit.

En 2017, au tour de Jean-François Jalkh, alors pressenti pour prendre la présidence par intérim du FN pendant la campagne présidentielle, d'être rattrapé par ses déclarations négationnistes.
L'eurodéputé avait remis en question, en 2000, l’utilisation du gaz Zyklon B dans les camps d’extermination nazis, lors d'un entretien avec une universitaire – lui a affirmé n'en avoir aucun souvenir. Neuf ans plus tôt, il était présent au 40e anniversaire de la mort du maréchal Pétain.

À chaque élection, des publications antisémites ou racistes de candidat·es du parti sont exhumées par les médias. En 2017, le site d'information Buzzfeed avait par exemple épinglé les publications de plusieurs candidat·es du Front national dans une longue enquête.

En 2021, lors des élections régionales, plusieurs candidates ont été écartées en raison de propos antisémites. L’une d’elles, en position éligible sur la liste du RN en Auvergne-Rhône-Alpes, avait posté pendant des mois des messages antisémites et complotistes, sans que cela n’alerte le RN, qui ne l’a suspendue qu’après l’article de Mediapart.
En juin 2022, aux législatives, le HuffPost révèle des publications à caractère raciste, antisémite ou complotiste d’une candidate de l’Ain.

À chaque fois, le Rassemblement national condamne fermement l’antisémitisme « qui n’a pas sa place dans ses rangs », assure-t-il dans ses communiqués. Certes, une grande partie des antisémites les plus radicaux ont été écartés dans les années 2000 et militent désormais surtout dans des groupuscules périphériques, à l’image d’Yvan Benedetti et Alexandre Gabriac.
Mais le grand ménage des radicaux se révèle impossible.

Désireuse de conquérir le pouvoir et de mener à bien sa stratégie de « dédiabolisation »,
Marine Le Pen elle-même a pris, à plusieurs reprises, ses distances avec les déclarations de son père. « Je ne partage pas la vision qu’a mon père de la Seconde Guerre mondiale, j’ai une vision différente de ces événements », déclarait-elle en 2009, alors vice-présidente du parti.
En 2015, après sa défense du maréchal Pétain, elle l’exclura du Front national.

Pourtant, dans le même temps, Marine Le Pen conserve dans son premier cercle deux vieux amis de fac régulièrement accusés d’antisémitisme :
Frédéric Chatillon et Axel Loustau, d’anciens militants radicaux du Groupe union défense (GUD),
qui ont eu la haute main sur la machine financière de son parti.
Le premier a été le prestataire phare des campagnes du parti pendant près d’une décennie ;
le second a été trésorier de son microparti, Jeanne, jusqu’en janvier 2022, et le responsable de la cellule financière de sa campagne présidentielle en 2017.

Si Chatillon et Loustau ont contesté en bloc, auprès de Mediapart, ces accusations d’antisémitisme, les éléments se sont accumulés au fil des années et ils n’ont jamais renié leur engagement de jeunesse au GUD et les rencontres qu’ils y ont faites.
Telles que l’ancien Waffen-SS belge Léon Degrelle, rencontré au début des années 1990, et qui voyait en Hitler « le plus grand homme de notre siècle ».

Tous deux n’ont jamais caché non plus leurs liens avec les antisémites Alain Soral et Dieudonné,
ils ont été accusés d’avoir participé à des soirées teintées de folklore nazi et ont multiplié les
allusions en ce sens sur Facebook – ce qu’ils contestent, là encore.

Alain Soral comme Dieudonné ont d’ailleurs eux-mêmes entretenu des liens étroits avec le Front national ou ses dirigeants.
Le premier a rejoint officiellement le parti en 2007 – il fut conseiller spécial de Jean-Marie Le Pen et membre du comité central du FN – avant de le quitter en 2009 en raison de désaccords avec Marine Le Pen.

Avant de rejoindre la « liste antisioniste » de Dieudonné aux élections européennes en 2009, on a vu l'essayiste tracter pour la future présidente du FN lors de la campagne des municipales, en 2008, à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), avec une équipe de son association Égalité et Réconciliation.
Ou encore chanter avec elle en novembre 2006, lors de la fête des Bleu-Blanc-Rouge

Quant à Dieudonné, il a été accueilli à une fête des Bleu-Blanc-Rouge du parti en 2006, et a
plusieurs fois été reçu à Montretout par Jean-Marie Le Pen, qui est le parrain de sa fille.

Cette demande du Rassemblement national de s’emparer de ce groupe d’étude est un pas de plus dans sa stratégie de normalisation.
Des cadres du parti le répètent depuis plusieurs années : l’antisémitisme est le dernier « verrou » à faire sauter.
En 2014, Louis Aliot déclarait ainsi à l’historienne Valérie Igounet :
« La dédiabolisation ne porte que sur l’antisémitisme. En distribuant des tracts dans la rue, le seul plafond de verre que je voyais, ce n’était pas l’immigration, ni l’islam…
C’est l’antisémitisme qui empêche les gens de voter pour nous. Il n’y a que cela…
À partir du moment où vous faites sauter ce verrou idéologique, vous libérez le reste. »

Comme un aboutissement symbolique de cette stratégie, le 13 octobre, le vice-président du RN et maire de Perpignan a décoré de la médaille de sa ville Serge et Beate Klarsfeld, qui ont consacré leur vie à traquer les nazis et à lutter contre l’antisémitisme.

Dans le même temps pourtant, Marine Le Pen n’a jamais pris formellement ses distances avec l’histoire du parti, expliquant, lors de son intronisation, en 2011, qu’elle assumait
« tout l’héritage du Front national ».

Le 5 novembre encore, dans son discours à la tribune du congrès du RN, tout en se félicitant d'avoir modernisé un parti qui « avait évidemment des défauts », elle a rendu hommage à son père :
« Le 16 janvier 2011, j’ai pris la présidence de notre mouvement avec beaucoup de révérence envers la tâche accomplie. [...]
J’ai repris le flambeau avec humilité devant l’héroïsme de quatre décennies de combats épiques. [...] Je l’ai recueilli avec respect, avec la conscience des sacrifices de vie, de confort, d’accusations injustes qui avaient été consentis par ceux qui avaient ouvert la voie, au premier rang desquels Jean-Marie Le Pen », a-t-elle déclaré, sous les applaudissements de la salle.

Marine Turchi
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